« Les Français sous psychotropes »
Le Monde 10 novembre 2008
Le Monde de ce jour constate que « les Français sont les champions d'Europe de la consommation de psychotropes. Ce constat a beau avoir été maintes fois dressé, la tendance ne s'est jamais inversée ». « le décalage reste profond entre la population prise en charge par le biais de ces médicaments qui agissent sur le système nerveux central et la population "réelle" qui aurait besoin de ce type de traitement ».
Sandrine Blanchard, qui signe l’article, rappelle ainsi que selon l’Invs, « les épisodes dépressifs majeurs touchent, suivant les études, entre 5 % et 7 % de la population. Soit un taux de prévalence très inférieur aux taux de consommation » et observe que « les psychotropes ont été détournés de leur usage premier (l'épisode dépressif majeur) pour soigner le mal-être, "l'anxiété sociale" et en devenir l'unique réponse ». « Résultat : des personnes véritablement déprimées sont sous-diagnostiquées, et de nombreux malades, surmenés, fatigués, consultent en mettant sur le compte de la dépression les difficultés du quotidien ».
La journaliste ajoute que « les psychotropes coûtent une fortune à la Sécurité sociale. Or une analyse publiée en début d'année conclut que, en dehors des dépressions sévères, les antidépresseurs les plus prescrits ne sont pas plus efficaces qu'un placebo... ».
La journaliste n’hésite pas à parler de « gabegie médicamenteuse », « à l'image de l'engouement suscité dans notre pays par le médicament ». « Cette gabegie est aussi favorisée par le système du paiement à l'acte des médecins libéraux, qui engendre un manque de temps et d'écoute ; par le réflexe quasi systématique de l'ordonnance ; par une formation médicale initiale et continue insuffisante en pharmacologie et trop souvent assurée par l'industrie pharmaceutique sans information universitaire contradictoire ».
Sandrine Blanchard souligne en outre qu’« un malentendu s'est installé dans la relation médecin-patient. Une enquête européenne réalisée en 2005 pour l'assurance-maladie montre que, pour les troubles du sommeil, 92 % des médecins disent ressentir "une attente de prescription", alors que seuls 27 % estiment que ce problème nécessite forcément un médicament ». Et elle conclut qu’« il manque cruellement d'études épidémiologiques sur les consommateurs de psychotropes. Entre la psychothérapie, difficilement accessible, et des médecines alternatives souvent méprisées par l'establishment médical, le marché des psychotropes ne connaîtra pas la crise ».